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Merde en barre

28 mai 2011

Comme un salaud de cowboy en vacances

   Joseph s’était suicidé deux jours plus tôt. Il en avait marre qu’on l’appelle Joe, Joey, Joséphine, ou que sais-je encore. Joseph, court, efficace, six lettres. Alors le coup était parti tout seul, en plein dans la tempe.               
     Puis Joseph s’était levé, un peu au dessus de son corps habituel. A travers son souffle au vin nouveau, il avait alors semblé prononcer ses derniers mots.       
     - Il fallait pas me piquer mes lettres ! 
     Une vitre avait claqué dans l’expression et Joseph avait disparu pour de bon. Nous on était restés comme quinze ou vingt ronds de flan. Non pas qu’on flanchait - faut pas déconner - mais ça  nous faisait quand même étrange. Certains disaient.                
     - Alors, c’est plus comme quand on allait bouffer chez lui, le dimanche midi ? On va plus le revoir, là. C’est fini ?              
     D’autres répondaient.                
     - Il était déjà mort, pour moi ! Et il n’avait pas mis longtemps !                
     Je sais pas trop s’ils étaient tristes ou en colère, les gars. C’était bizarre, en tout cas ça avait sacrément gâché notre petite soirée.         
     Des officiers s’étaient dépêchés d’arriver, car c’était l’époque de la police de proximité et qu’ils faisaient des rondes dans le quartier. Alors on était tout de suite parti, parce que Raymonde avait du cannabis et qu’Yvette avait déjà connu les geôles.
    
En me retournant vers son bar, j’ai cru apercevoir Joseph, dansant une dernière fois sur son comptoir, ombre virevoltant entre les flics, se dispersant de lustres en lustres. Mais c’était bel et bien fini. Et dès le lendemain, le rideau de fer était tiré sur ses derniers éclats de verre.        

     Dans mes souvenirs, c’est là qu’on s’était senti le plus con, un bref après midi sous un soleil plombé. Comme on venait tous les jours à la même heure, il était logique que l’on soit encore là, le lendemain.       
     C’était le seul bar du quartier ouvert le samedi et on avait tous très soif, alors il avait fallu s’organiser. Comme j’habitais juste au-dessus, donc moi qui était remonté chercher des chaises et des tabourets. Pendant ce temps là, Sylvianne était descendue jusqu’à l’épicerie, pour acheter des packs de Grim. Elle avait aussi prit un décapsuleur, car elle avait fait l’armée et qu’à l’époque on l’avait affectée à la logistique. 
     On avait l’air de trois vieilles folles et les copains s’étaient peu à peu enfuis vers le canal, ou ce qu’il en restait, pour se mettre à l’abri, des voisins, de nos conneries et des flics.              
     Nos petits corps frêles, sans ascenseurs qui sonnent, avaient alors commencé à s’enfiler les Grim comme ils recevaient les mecs dans les années soixante. On était allé de mieux en mieux, jusqu’au coup de boutoir de seize heures.              
     Il était arrivé comme ça, pile à l’heure pile, comme si de rien n’avait été, comme s’il avait eut rendez-vous avec un mec absent. Il portait un costard noir-connard et une petite mallette en cuir peau-de-vache. A haute température et ne crachant jamais dans la cannette, Sylvianne avait osé tenter sa chance.                  
     - Salut mon mignon ! 
     Le mignon avait incliné sa tête en répondant.
    
- Mesdames.  
     S’il portait un chapeau, je crois bien qu’il l’aurait enlevé.            
    Aveugle ou buté, l’homme s’était ensuite dirigé droit sur la grille. Arrivé à dix centimètres, il s’était immobilisé, l’avait fixé quelques instant - sans doute pour enfin comprendre que le bar était fermé - puis s’en était finalement retourné.    
     La continuité narrative aurait voulu que ce monsieur se remette à marcher, mais non. Il avait juste ouvert sa mallette, en avait tiré un petit panneau jaune, et l’avait fixé en se servant des lames micro-perforées tendues devant les fenêtres.               
   Puis à nouveau et sans lever le chapeau qu’il ne possédait pas, il s’était adressé à nous, toujours sur le même ton, et nous avait répété.               
     - Mesdames.  
  Et il était parti, aussi vite que le bar de feu Joseph notre ami était à présent à vendre.                                

     Dans la rue qui se cogne au canal, on s’était tout de suite moins marré. On zigzaguait un peu entre les passants, parfois on leur rentrait dedans, mais on ne répondait jamais aux rares d’entre eux qui nous souriaient. On ne pensait qu’à la mort du patron et à la fermeture de son bar. On n’en parlait pas, car les bouches n’avaient plus la marge de manœuvre suffisante. On se contentait de se jeter des regards étranges, étrangers.
     Demain il faudrait tout recommencer, nouveau comptoir, nouvelle marque de bière, nouveaux camarades de jeu, mais plus aucune envie de jouer. Les gens étaient l’âme du lieu. Mais que pourrait encore cette âme, sans un corps pour l’abriter ?                
     Sur le canal, avec sa rue dans la gueule, les gars ne nous avaient pas fait défaut. Tous n’avaient pas été très contents de nous voir débarquer sur nos bicyclettes, mais le chef de meute, lui, l’avait tout à fait été.  
     Dédé était un grand baraqué. Pour le prouver, il n’était pas rare qu’il nous porte toutes les trois sur son dos. Il disait que ça lui rappelait ses origines indiennes et quand il en rajoutait avec ses petits cris itératifs, notre enfilade faisait vachement totem.             
     Après qu’on ait tout déballé, sans rien dégobiller, c’est lui qui avait prit la parole en premier.
    - C’est ce petit salopard de fils à Joe, pardon, de feu Joseph notre ami. A peine son papa parti, qu’il pense déjà au moyen de récupérer le magot. Si on le croise il nous dira qu’il vend pour payer les frais. Il finira même par nous invoquer une vague histoire d’obsèques. Mais on ne va pas se laisser baiser. Ca non, on ne va pas se laisser baiser.   
     Puis Dédé s’était immensément relevé, dévoilant légèrement le micro morceau de la Harley contre laquelle il était adossé. A côté, les gars avaient continué à fumer leurs Heineken en silence. Ca ne mouftait pas. On devinait sans mal que tous le suivraient.              
     Nous aussi, on avait été d’accord. Les années soixante étaient loin derrière et malgré nos vingt-deux Grim, la sécheresse était telle que l’on ne pouvait plus se permettre ce genre d’écarts sexuels.       
     Le lendemain devait être un dimanche et c’est ce jour là que nous avions prévu de nous réunir pour fêter le cinquantième anniversaire de feu Joseph notre ami. Au lieu de ça, nous nous recueillerions devant les grilles et nous militerions pour leur disparition, haut les pancartes et qu’importe les conséquences.                  
     Puisque tout avait été réglé rapidement, Dédé avait pu refaire le totem avec nous, sur le dos de sa Harley et les autres gars s’en étaient retournés à leurs bières.

     Un peu avant midi, rendez-vous avait été donné sur la Grand-Place. Aux premiers arrivants, le soleil avait tabassé la peau à coup de cancers en préparation ; on n’aurait pas pu avoir de plus mauvaise idée quant au début des opérations.         
     Josette, qui ne supportait pas celle d’arriver en retard, avait dormi là, dans un tipi Quechua, payé deux cent quarante-neuf francs chez Décathlon. Tout autour, ça sentait la poudre et la résine. Depuis l’aube, elle avait élaboré nos bannières.      
     En nous apercevant, il ne lui avait pas fallu deux secondes pour replier son échoppe mobile. Elle était toujours prête, armée comme en quarante. Notre doyenne avait connu les allemands et serait à tout jamais prompte et vaillante lorsqu’il s’agirait de vaquer à nos occupations.         
     Vers midi et quart, lorsque aurait du sonner l’heure de l’apéro, tous étaient arrivés peu à peu, d’abord par petits paquets, puis par masses gigantesques de cinq ou six hommes. Au bout du compte une quarantaine de personnes s’étaient réunies, parmi lesquelles un bon tiers de greffons en badauds.          
     C’est aussi l’heure qu’avait choisit Dédé, qui dans un vent frais d’harmonica, avait fait déraper sa Harley dans le sable voisin. Arrivé, le corps rougeoyant de colère et de vin, vêtu d’un simple short et d’un bandana, il avait prit la parole immédiatement.
    
- Mes amis…  
     Ivre d’enthousiasme face à nos regards luisants, il s’était très vite interrompu pour nous observer. Il admirait notre détermination et nous souriait à présent sans pouvoir prononcer le moindre mot. Finalement et puisque aucun discours ne lui avait plus semblé nécessaire, il avait préféré abréger.     
     - C’est l’heure…             
     Sa tête s’était alors penchée et son corps avait suivi dans un mouvement continu. Nous avions été si honorés de voir notre chef danser ainsi que nous l’avions porté, triomphant, le long du cortège en route. 
     Parvenus à hauteur de notre bar, l’Oyashio, nous nous étions arrêtés, avions brandit des figures en carton représentant la sale face de notre simulacre prépubère d’après les boutons, et avions entonné nos chants.          
     - Kévin, enculé, tu vas nous rendre les clefs ! Kévin, enculé, tu vas nous rendre les clefs !           
    Trois sauts d’eau et un tabouret de bar plus tard, alors que les fusils photographiques de France 3 Ile-de-France avaient entamé leur débarquement, la police de proximité était revenue nous chercher des noises. Cette fois-ci, elle avait cependant comprit que nous ne céderions pas si facilement, et un périmètre de sécurité avait simplement été installé pour entraver la propagation de nos colères. Sans cette intervention, il était évident que la rue toute entière aurait dévoré tout vivant le fils de feu Joseph notre ami.   

     A ce point de tension optimal, tout aurait alors pu se produire. Les plus jeunes de nos filles avaient imaginé que Dédé, dans un ultime sursaut de haine, allait sans doute venir se briser contre les vitres, se répandant en d’éparses et multiples coups de machette. Les hommes avaient également caressé ce doux rêve puis l’avaient prolongé, s’imaginant prendre sa suite afin de commettre l’effraction suprême et d’emporter avec eux les fûts entamés l’avant-veille. Quant à Sylvianne, Josette, Raymonde, Yvette et moi-même, nous avions demeuré interdites, vaincues de tant de vieillesse face à ce soudain retour aux pavés.        
     Car un pavé venait bel et bien d’être lancé, par feu Joseph notre ami, qui avait brisé son second carreau en l’espace de trois journées. Tout le monde s’était retourné. Le silence provoqué par le fracas lui avait tendu un micro dans lequel il hurla.               
     - C’est quoi ces conneries !? On peut pas fermer tranquille !?
     Là, personne n’avait su quoi répondre. Même Dédé, malgré sa tempe encore marquée, n’avait plus du tout eut envie de riposter.   
     S’en prendre à un mec aussi respecté dans le quartier, pour une banale histoire de prénom et alors qu’il n’avait ouvert son bar que depuis trois petits mois, ça avait été un véritable suicide social pour Joseph. Mais sa disparition avait constitué un tel manque que tous étaient maintenant heureux de le revoir.                       
     Par la suite, on lui avait posé des questions sur la vente de son bar et il avait évoqué un simple coup de sang. Le soir même on fêtait son anniversaire, pépères.           
     C’est à peu près à ce moment là qu’on a pu officialiser pour de bon son arrivée dans le quartier. Ca avait prit un peu plus de temps pour son mouflet, mais ça aussi ça avait finit par s’arranger.        
     A l’Oyashio, tout finit toujours par s’arranger. Parfois on paye ses Grim avec un peu de retard, mais l’important c’est qu’on laisse toujours un pourboire.      

 

         A notre ami Philippe Jaenada, tout vivant qu’il est.

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19 mai 2011

Le genre de trucs qu'on reçoit

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19 mai 2011

Taxi Driver Orchidoclaste

      C’est quoi le problème du contrôleur ? Non, sans blague, tu m’expliques ? Le mec vient, il te cartonne et il s’en va. Il a pas le sourire aux lèvres. Tu vois bien que le mec, il est pas content, quoi. C’est limite s’il est pas malheureux de t’avoir fait ça. Quand tu vois sa tronche, tu penses tout de suite qu’il a eu des malheurs quand il était petit et qu’il est pas bien fier que ça doive te retomber en pleine gueule. Tu préfères alors penser que ce boulot est une recommandation de son psy. T’as pas envie de te dire que c’est la faute aux éventuels mauvais apôtres à Robin des bois.    
     Au départ, moi, je pensais juste que c’était des types qui avaient mal compris l’histoire, qui pensaient que la noble cause était de prendre aux pauvres pour donner aux riches. Alors je me souviens qu’une fois j’avais expliqué ça à une équipe de la RATP. Je leur avait dit.   
     - Les mecs, ça vous plait vraiment de prendre aux pauvres pour donner aux riches ? Vous pensez que c’est une jolie vocation ? Vous croyez vraiment que c’est-ce qu’il faisait, notre copain Robin ?   
     Là, t’en a un qui m’a prit entre quatre yeux - plus les lunettes - et qui m’a répondu d‘un air tout à fait sérieux.   
     - Je n’ai pas eu d’enfance, monsieur.   
     Ok, pauvre homme. Je te comprends, va. Il n’avait pas vu le dessin animé de chez Disney, voilà tout, c’était pour ça.    
     Puis là, subitement, il a éclaté d’un rire assez surprenant et suffisamment communicatif pour que le reste de la bande rigole aussi. J’ai mal compris, en tout cas moins bien que le truc sur Robin.
     Voyant mon visage étonné et ne voulant pas en rester là, il a enchainé en me demandant mes papiers. Là situation était toute à fait nouvelle pour moi, mais je savais précisément comment réagir dans ce genre de cas. J’avais vu répétée la scène dans une centaine de films au moins.    
      Alors, j’ai composé mon expression la plus désolée et je lui ai rétorqué que j‘avais arrêté de fumer. Ce n’était pourtant pas si mal de ne plus fumer, mais on n’était plus à un paradoxe près.   
     Ca l’a vachement mis en pétard, le gars. Il faisait sincèrement la gueule et c’était pas beau à voir. Ca fait vraiment des dégâts la nicotine. Heureusement, l’un de ses potes est intervenu. Il a dit.   
     - Laisse-le, Joe. C’est un con.   
   Ignorant la légère confusion syntagmatique du réfrégirateur mobile qui prenait ma défense, je commençais, en effet, à être assez convaincu par ses propos. Oui, Joe était con, un vrai, un con commun, presque charmant de suffisance conne. Joe en revanche, n’en était pas encore aussi sûr que nous. Alors l’autre type, le plus intelligent, m’a attrapé la tête et l’a retourné vers lui, puis il a insisté.   
     - Regarde, Joe ! Ca ne se voit pas que c’est un con ?   
     J’ai évidemment acquiescé d’un léger hochement de tête - je n’avais pas l’espace pour plus - et Joe, dépité, a accepté de laisser tomber, pas son carnet et tout le bazar, hein, juste ce qui concernait notre petite affaire en cours.    
     Je suis parti, j’ai quitté le métro en entier, pas seulement les wagons, et je suis rentré chez moi. Astrologique ou canard blanc-géant, Joe était sans doute un signe. Ce soir là, j’aurais mieux fait de prendre un taxi.

19 mai 2011

Hiver

     Hiver. Le froid, les arbres morts, la neige. Le sifflement d’un oiseau naissant et qui vient remplacer poste pour poste le carillon endormi de l’église du village. Le lac est une patinoire, les maisons gèlent, les voitures se sont tues. C’est là, dans la neige, qu’un petit garçon. C’est là, sous le ciel blanc, qu’il coupe le vent d’un bâton léger. Et c’est là, oui là, que naissent ses souvenirs d’enfance. Comme l’oiseau, comme la neige, comme ces rues vides qu’il parcoure.
     Il a beau marcher partout, sur les perrons, dans les allées, dans les rues, et même à travers champs. Le village est désert. Ce soir c’est noël et tous le préparent. Tous comptent sur la magie du soir pour créer la vraie magie du jour. Celle d’un coin perdu, vraiment perdu, avec des lumières à la fenêtre, plus sombres que celle d’un ciel blanc.
     Alors, il court. D’habitude, ça paraîtrait étrange de se mettre à courir, comme ça, en pleine, rue, sans raison apparente. Mais il a envie de courir, là, maintenant, et les oiseaux se foutent bien qu’il ait envie de courir. C’est facile d’être dieu quand il n’y a personne dehors. Lorsqu’il court, son bâton se courbe vers l’arrière, se fait sabre pour lutter plus violemment contre le vent. C’est cool. On dirait un pirate des villages. Alors il ferme un œil et court toujours.
     Lorsqu’il arrive devant la vieille maison, celle que l’on dit hantée, il a soudain envie d’entrer. Un pirate n’a peur de rien. Avant de passer la grille, il prend bien soin de faire de son écharpe un bandeau et de son t-shirt un bandana. Son pull, il l’attache autour de sa taille, pour l’aérodynamisme et pour exhiber ses abdominaux à la sorcière des lieux.
     L’histoire est à suivre, mais ce qui suit ne nous concerne pas. Nous n’étions là que pour le village.

19 mai 2011

Carine

     Il y a de l’herbe fraichement coupée, puis une clôture. Lorsque l’on passe la clôture, il y a un petit chemin de terre, bordé d’herbe sauvage qui monte au champ. C’est dans ce champ, à l’ombre d’un pommier, qu’est allongée Carine. D’habitude, Carine serait lumineuse, étincelante. Ses cheveux roux reflèteraient le soleil en diable. Mais là, sous ce pommier, elle est comme protégée du feu, protégée d’elle-même. Elle dort, paisiblement. Oh, bien sûr, il y’a le blé autour, et lui il reflète bel et bien le soleil, violemment d’ailleurs. Si Carine marchait à travers le blé ses cheveux s’y mêleraient, juste un peu plus mûrs. Mais pour l’instant, Carine dort. Juste ça.
     Puis une abeille, une guêpe, ou un bourdon, peu importe. Carine se réveille. Comme guidée par une sorte de voix intérieure, elle se lève, gracieuse en flambeau. Puis elle se répand telle une trainée de poudre, droit devant, incendiant intégralement le champ, d’abord en ligne droite, puis sur les côtés. Incendiaire marchant à vive allure, elle s’extrait rapidement de cette fournaise à moisson. Elle ne tousse pas, ne suffoque pas, ne fait aucun mouvement susceptible de la protéger des flammes. Puis elle parvient finalement au bref chemin de terre, se retourne, et contemple son œuvre, silencieuse.
     Lorsque tout est éteint, que le blé soleil jaune est redevenu poudre noire et brulée, elle passe la clôture, regagnant le jardin d’herbe fraiche, rentrant chez elle.  Seul a subsisté le pommier. Une pomme en tombe et glisse le long de la friche. Carine sourit. Elle vient de franchir la porte de son domicile.

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19 mai 2011

Instants fugaçes

     Nous ne sommes, en définitive, que des âmes apaisées flottant heureuses et souriantes dans le courant d’eau fraîche d’une chronologie rectiligne. C’est en étoiles de mer que nous naviguons au rythme des clapotis et du vent, un lapin de garenne fuyant sur la berge. Ainsi portées à la dérive par nos corps inertes et frêles, ce n’est plus le temps qui nous berce, mais nos pensées intimes.
     A demi dans l’eau nous ne voyons que le ciel, mais nos yeux s’y reflètent et nos regards perdurent. Ils sont en nuages en iris et en larmes, ils sont en fracas en sauvage et en joie. C’est l’amour en couloir, l’éternel absolu, le divin et nous même, le début et la fin.

19 mai 2011

Lovation - An electric smoke with fire and flames

     Aie, ça fait mal. Ça faisait huit ans. Elle est passée, j'ai dis "Salut !". Je me suis retourné, elle a dit "Salut !" Ça m’arrache le bide comme un avant-partiel non-révisé. J'aurais préféré marcher dans la merde, au moins j'aurais pu crier "Putain !" Mais là j'ai la gorge engourdie, je me suis fais sécher. Salut, ça aura été mon dernier mot. Que dire de plus ? Maintenant elle est de dos.      
     Ça faisait huit ans que j'étais pas tombé amoureux et à cette époque aussi ça avait foiré. Tu penses bien que j'étais pas resté puceau, j'avais toujours trouvé deux ou trois connes de passage histoire de tirer un coup, juste tirer un coup. Mais celle-là je la voulais ni conne ni de passage. Pour autant j’ai pas eu ce que je désirais.               
     Alors voilà c'est ainsi, c'est inéluctable, c’est comme ça que tout s’arrête ? On passe dans le couloir en se disant "salut" et puis on remballe ? Tu ralentis pas ta course douze secondes pour me faire la bise et me demander comment je vais ? Putain, mais qu'est-ce que c'est douze secondes dans ta vie de merde ? Parce que je te signale que douze secondes de ta vie dans la mienne, c'est beaucoup pour moi. Plus long que tu l'imagines et même assez pour gamberger jusqu'à demain. Je déconne pas, en vivant ta vie dans la mienne tu pourrais gagner une jeunesse éternelle. C'est pourtant pas ce qu'elles veulent les meufs, s'éviter les liftings et les pots de crème ?   
     Cherche pas l'ami, elle est partie. Elle est en classe maintenant. Elle écoute un vieux connard incompétent se branler sur sa dissert. Alors je fais quoi ? Je rentre chez moi en mode loser magnifique ? Je pourrais autant péter sa putain de porte d'un coup de pied, ou au moins essayer. Je pourrais faire mon Roméo et lui crier que je l’aime, que je suis pas l'un de ces enculés qui cherchent qu'à la baiser et qu'il faudrait pas qu'elle passe à côté.
     Le problème c'est que les nanas pensent pas qu'on puisse être à la fois un baiseur et un mec amoureux. Paradoxalement, elles n’aiment que les baiseurs dont elles prétendent être écœurées et conchient les romantiques et leurs bouquets de fleurs nauséeux. Les sentiments ça les fait flipper. Si j'entre là dedans, c'est sûr, je suis terminé. Pareil pour les textos, faudrait que je me calme un peu. Deux fois par semaines, je pensais pas la harceler, mais c'est pas son rythme. Faut pas qu'elle se sente oppressée la miss. L'espace ça se conquiert petit à petit et pour l'instant on en est qu'à la lune. Merde... C'est pas ce que je voulais dire.                 
     Ça c'était pourtant bien passé au départ. Son odeur était parfaite, sans parfum ni shampooing. Je la sentais tendre et ça ressemblait à des prémices. En clair, j'étais content et amoureux. C’est devenu quoi tout ce bordel ? T’as vu ma gueule ? On dirait un dépressif shooté à la Red Bull. Être amoureux, c'est pas mon truc à l'origine. J’étais prévenu, je sais pas comment on fait. Ok, c'est peut-être la deuxième fois que ça m'arrive mais c'est pas comme le vélo. Je remonte en selle aussi pitoyable qu'une femme qui accouche de son premier gamin, les cris en moins - je sais me tenir - mais la face aussi tordue.        
     Faut que je réagisse, mais je suis coincé. Je peux pas l'appeler, encore moins tout lui balancer. Je suis pas Georges Clooney, je dois de respecter les règles du jeu si je veux que cette histoire prenne pas l’eau. C’est tranquille pour Georges, il a un chalumeau le mec. Mais moi quand elle me regarde, je crois qu’elle voit le briquet mais pas l’étincelle. C’est quoi ce putain de jeu de merde ? J'ai l'air de m'amuser. Bla bla bla, les règles de la séduction. Nique sa mère le règlement !    
     Quand j'y pense, c'est triste qu'elle s'en tape ou qu'elle ait pas capté ce que je ressentais pour elle. Et pas que pour moi d’ailleurs. Elle va louper un type qui veut plus personne d’autre qu'elle pour continuer à se faire baiser par d’autres types croisés ça et là dans des bars quelconques. Vraiment, j’aurais voulu lui proposer de construire une autre histoire que ça. Si ça continue, moi, je vais finir chez les putes et j'aurais jamais de gosses, ça c'est à peu près sûr. Et elle, elle finira avec un mec qui aura su la séduire et qui sera finalement resté avec elle par peur de finir seul. Elle accouchera de trois chiards, si elle n’a pas avorté du premier, et se fera chier dans sa petite vie de merde en forme de cure de désintox d’alcool et de plaisir.         
     Putain mais je suis qui pour dire ça ? Je suis qui merde ? Je l’aime et je pense tellement qu’à ma gueule que je me pose en seule alternative. C’est clair que moi je vais dépérir sans elle, au moins un temps, mais ça n’empêche pas que de son côté elle puisse situer son bonheur ailleurs qu’entre mes bras ou qu’au bout de ma bite. Si ça se trouve tout est bon pour elle, pas de soucis, happy life, end of me. End of quoi ? Tu parles, y’a même pas eu de début.             
     N’empêche qu’elle a pas de respect pour moi. Elle voit bien que je m’intéresse, c’est pas Ray Charles et elle est pas débile. Elle pourrait au moins avoir les couilles de me dire en face de dégager. Tout ce qu’elle fait, là, c’est m’esquiver. Elle croit quoi, qu’elle a du tact ? Un animal blessé, tu lui fous un coup de pelle. Tu t’en vas pas, ce serait lâche et dégueulasse.    
     En même temps faut pas se leurrer, je me suis blessé tout seul. Un qui mec qui se mutile devant toi, je comprends que t’ai pas envie de rester dans les parages. Je crois pas en cette connerie qui consiste à dire que l’on tombe amoureux de quelqu’un. L’amour, c’est un machin que t’as en toi, comme un monstre qui gonfle. Et quand il va péter, tu le balances à la gueule de quelqu’un. Au lieu de saturer tout seul et de devenir complètement taré, ton cerveau choisit de déverser le trop-plein dans un autre corps que le tien. L’amour c’est une putain d’agression. C’est qui déjà qui disait que c’était offrir quelque chose que l’on n'a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ? C’est pas tout à fait ça, mais il était pas loin le mec.              
     Pourquoi je parle tout seul ? Même si c’est dans ma tête, ça craint. Je suis ridicule là, c’est qu’une meuf. Je prétends ressentir un truc, je prétends avoir un feeling. C’est quoi ces conneries, un truc mystique ? Ca me fait délirer. Pourquoi ce serait elle et pas une autre ? Pourquoi ce serait elle et pas toutes les autres ?
     N’empêche que quand mon ventre s’est mit a dérailler tout à l’heure, c’était pas n’importe quoi, c’était bien réel. Mais allez ta gueule, t’as somatisé c’est tout. Qu’est-ce que je fous dans ce couloir. Je devrais dégager, mon cours est fini depuis dix minutes, j’ai plus rien à foutre là. Je dis ça, mais je marche depuis un bout de temps. Je tourne en rond comme un poisson rouge à la con. En plus je suis en rouge et j’ai la tête rouge, c’est raccord. Putain…    
      De toute façon qu’est-ce que t’attends ? Tu veux quoi ? Te marier, avoir des gosses ? Sérieux j’en ai jamais rien eu à foutre. Je peux déjà pas blairer mes petits frères et mes parents comme exemple de mariage, y’a pas plus merdique. Finir devant la télé à quarante piges et plus jamais baiser, très peu pour moi.  Et s’il s’agit que de cul, j’ai pas besoin de faire ça avec une meuf qui me donne envie de gerber dès que j’y pense un peu trop longtemps. D’ailleurs je suis pas sûr que ça serait très réussi. Alors tu veux quoi au juste ? J’en sais rien putain, j’en sais rien. Juste qu’on soit bien. On se pose, on vit le truc, on est heureux et basta. C’est simple tu vois. Juste ça et après on verra.                
      Pourquoi ils sortent ? Y’a une alerte incendie ou quoi. Qu’est ce qu’elle fout là ? Putain elle avance vers moi. C’est chaud, j’ai pas envie de lui parler là. Vas-y, fais genre t’en à rien à foutre. Ouais c’est ça je vais tenir le mur comme si j’attendais quelqu’un. Huit mètres, six mètres, quatre mètres... Elle me sourit, je crois que t’as sa bouche qui va s’entrouvrir là.    
     - T’es encore là ? Désolé pour tout à l’heure, j’étais speed, j’aime pas être en retard. Le prof est pas là, ça te dit qu’on aille prendre un verre ?       
     - Euh ouais. Bah ouais… 

19 mai 2011

Le type qui rentrait chez lui en suivant des culs dans la rue

     L’escalier monte, il cherche un cul. Il en trouve un quand le soleil se fait. Alors il le suit. Ce n’est plus l’odeur du métro, mais celle des rues de Paris. Ce cul plein de sollicitude prend la bonne direction. Alors il le suit, mécanique. A la première personne, comme un perso tuto d’un FPS interdit aux moins de seize mais joué par un nombre incalculable de gamins maladroits. Ils marchent droit, en file indienne. C’est tellement mieux que de croiser un sourire. Quand tu croises un sourire, c’est quand même mieux, mais tellement éphémère. Limite, ça déçoit. Tu le captes un seconde et puis il s’en va, provoquant en toi un horrible effort de mémoire inutile et vain qui ne durera que le temps d’un lampadaire ou deux. Mais là, ce n’est pas pareil, il suit un cul en mouvement. Souvent ça peut durer une ou deux minutes entières, parfois plus. Il peut tourner à un feu rouge, ou traverser avec toi. Je crois que les deux sont biens, c’est deux émotions différentes. Puis quand il suit un cul, il sent qu’il a un truc à faire. Le reste du temps, il fait quoi ? Il traque les publicités ou les vieux meubles déposés devant les immeubles. Franchement, ça craint.               
      Là, tout de suite, le soleil est là, assez orange. C’est un peu le soir je crois. Et c’est tant mieux qu’il soit là, parce que ce matin ça caillait sévère. Là, il porte sa veste sur l’épaule, pas le soleil hein, lui. Ca fait limite un peu bobo, voir employé de chantier, mais bon, au moins la température se fait. Mais revenons, revenons.             
      Il suit un cul dans les rues de Paris. J’ai oublié de dire qu’il avait du rock dans les oreilles. C’est important pour la sensation. Un rock rapide, nerveux et plein de joie. Un truc à la Luke, ou à la Noir Désir. Je fais deux propositions parce que bon, on peut pas tout connaître, et ça limite je comprends, parce que moi, ma culture musicale, franchement…              
      Il suit un cul dans les rues de Paris. Puis finalement ce cul tourne au feu rouge, immédiatement remplacé par le dos d’un type qu’il connaît et qu’il n’aime pas. Il a porté ses vieux t-shirt pendant des années, il ne sait plus bien comment ni pourquoi d’ailleurs. C’est peut-être la seule raison pour laquelle il ne l’aime pas. Où alors parce qu’il l’avait arnaqué sur un échange de jeux vidéo un peu malhonnête quand il était jeune et naïf. Remarque, le jeu en question l’avait distrait quelques temps. Mais financièrement parlant, pour ceux pour qui ça compte, ben ça valait pas le coup hein !
      Il sait très bien que le dos du type va finir dans le même immeuble que lui, au même étage, passant forcément par le même ascenseur. Alors il met de la distance entre eux deux. Pour le coup, il prend plaisir à les regarder les pubs pour les magasins But et les nouvelles Danettes Choco-Pistache. Y’a même un meuble qui traîne devant l’avant dernier immeuble et qu’il examine attentivement. Franchement je raconte trop bien, j’avais tout prévu ! Pas vrai, hein ? Alors c’est comme ça qu’il met de la distance entre eux. Et c’est comme ça qu’il devient tout petit le dos du type. Qu’est ce qu’il est content de voir son dos diminuer comme ça. Boum, le dos passe le portail d’entrée. Un deux trois quatre cinq six sept huit neuf dix onze douze treize. Treize seconde entre eux exactement. Ca paraît peu comme ça, mais en fait c’est beaucoup. Essaye, compte, tu verras. Mais est-ce suffisant ? Pour s’en assurer, il ira prendre le courrier. Il sait très bien que leur mère l’aura prit au matin et qu’il trouvera sa boite vide, mais ça foutra bien dix secondes de plus entre eux. Il arrive, il passe la poste. Il arrive, il enfonce la clef. Il tourne, il ouvre. Rien. Il le savait. Il referme et passe la dernière porte, celle qui lui annonce la couleur. Pour le coup, c’est transparent, maculé de personne. Juste les trois ascenseurs et personne d’autre. Yes !       
      Il appuie sur le bouton et s’écarte machinalement de la grosse machine, comme si un fantôme pouvait en surgir à tout moment. Il se dirige vers le panneau d’informations, histoire de relire les mêmes vieux trucs toujours pas dépunaisés. 15 juillet 2008. Ah ouais ça a carrément deux ans et demi quoi. Puis l’ascenseur arrive, faisant place à un grand miroir en plan américain. Qu’est ce qu’il est beau. Avec ses cheveux blonds mi longs, sa barbe renaissant trois fois par semaine, ses lunettes de geek en mousse, et son t-shirt même pas délavé. Là, limite, il est content pendant trois secondes, de pouvoir percer ses boutons à l’abri des songes. Quand il arrivera chez lui il se passera de la crème.

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