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Merde en barre
19 mai 2011

Le type qui rentrait chez lui en suivant des culs dans la rue

     L’escalier monte, il cherche un cul. Il en trouve un quand le soleil se fait. Alors il le suit. Ce n’est plus l’odeur du métro, mais celle des rues de Paris. Ce cul plein de sollicitude prend la bonne direction. Alors il le suit, mécanique. A la première personne, comme un perso tuto d’un FPS interdit aux moins de seize mais joué par un nombre incalculable de gamins maladroits. Ils marchent droit, en file indienne. C’est tellement mieux que de croiser un sourire. Quand tu croises un sourire, c’est quand même mieux, mais tellement éphémère. Limite, ça déçoit. Tu le captes un seconde et puis il s’en va, provoquant en toi un horrible effort de mémoire inutile et vain qui ne durera que le temps d’un lampadaire ou deux. Mais là, ce n’est pas pareil, il suit un cul en mouvement. Souvent ça peut durer une ou deux minutes entières, parfois plus. Il peut tourner à un feu rouge, ou traverser avec toi. Je crois que les deux sont biens, c’est deux émotions différentes. Puis quand il suit un cul, il sent qu’il a un truc à faire. Le reste du temps, il fait quoi ? Il traque les publicités ou les vieux meubles déposés devant les immeubles. Franchement, ça craint.               
      Là, tout de suite, le soleil est là, assez orange. C’est un peu le soir je crois. Et c’est tant mieux qu’il soit là, parce que ce matin ça caillait sévère. Là, il porte sa veste sur l’épaule, pas le soleil hein, lui. Ca fait limite un peu bobo, voir employé de chantier, mais bon, au moins la température se fait. Mais revenons, revenons.             
      Il suit un cul dans les rues de Paris. J’ai oublié de dire qu’il avait du rock dans les oreilles. C’est important pour la sensation. Un rock rapide, nerveux et plein de joie. Un truc à la Luke, ou à la Noir Désir. Je fais deux propositions parce que bon, on peut pas tout connaître, et ça limite je comprends, parce que moi, ma culture musicale, franchement…              
      Il suit un cul dans les rues de Paris. Puis finalement ce cul tourne au feu rouge, immédiatement remplacé par le dos d’un type qu’il connaît et qu’il n’aime pas. Il a porté ses vieux t-shirt pendant des années, il ne sait plus bien comment ni pourquoi d’ailleurs. C’est peut-être la seule raison pour laquelle il ne l’aime pas. Où alors parce qu’il l’avait arnaqué sur un échange de jeux vidéo un peu malhonnête quand il était jeune et naïf. Remarque, le jeu en question l’avait distrait quelques temps. Mais financièrement parlant, pour ceux pour qui ça compte, ben ça valait pas le coup hein !
      Il sait très bien que le dos du type va finir dans le même immeuble que lui, au même étage, passant forcément par le même ascenseur. Alors il met de la distance entre eux deux. Pour le coup, il prend plaisir à les regarder les pubs pour les magasins But et les nouvelles Danettes Choco-Pistache. Y’a même un meuble qui traîne devant l’avant dernier immeuble et qu’il examine attentivement. Franchement je raconte trop bien, j’avais tout prévu ! Pas vrai, hein ? Alors c’est comme ça qu’il met de la distance entre eux. Et c’est comme ça qu’il devient tout petit le dos du type. Qu’est ce qu’il est content de voir son dos diminuer comme ça. Boum, le dos passe le portail d’entrée. Un deux trois quatre cinq six sept huit neuf dix onze douze treize. Treize seconde entre eux exactement. Ca paraît peu comme ça, mais en fait c’est beaucoup. Essaye, compte, tu verras. Mais est-ce suffisant ? Pour s’en assurer, il ira prendre le courrier. Il sait très bien que leur mère l’aura prit au matin et qu’il trouvera sa boite vide, mais ça foutra bien dix secondes de plus entre eux. Il arrive, il passe la poste. Il arrive, il enfonce la clef. Il tourne, il ouvre. Rien. Il le savait. Il referme et passe la dernière porte, celle qui lui annonce la couleur. Pour le coup, c’est transparent, maculé de personne. Juste les trois ascenseurs et personne d’autre. Yes !       
      Il appuie sur le bouton et s’écarte machinalement de la grosse machine, comme si un fantôme pouvait en surgir à tout moment. Il se dirige vers le panneau d’informations, histoire de relire les mêmes vieux trucs toujours pas dépunaisés. 15 juillet 2008. Ah ouais ça a carrément deux ans et demi quoi. Puis l’ascenseur arrive, faisant place à un grand miroir en plan américain. Qu’est ce qu’il est beau. Avec ses cheveux blonds mi longs, sa barbe renaissant trois fois par semaine, ses lunettes de geek en mousse, et son t-shirt même pas délavé. Là, limite, il est content pendant trois secondes, de pouvoir percer ses boutons à l’abri des songes. Quand il arrivera chez lui il se passera de la crème.

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